çA y est, LE moment de votre vie d’Avocat est enfin arrivé (après celui magique de votre prestation de serment) et vous êtes à l’aube de voler de vos propres ailes. Vous achetez votre plaque, un lot de vis et faites savoir à la terre entière que le monde juridique ou judiciaire compte un Cabinet de plus : le vôtre. Bravo !et bienvenue dans le monde merveilleux de l’entreprenariat. Pour que le rêve en reste un, je vous propose quelques points qui sont essentiels dans la réussite de cette phase stressante mais tellement enthousiasmante que représente votre INSTALLATION.
1. L'ETAT D'ESPRIT D'ENTREPRENDRE
Chacun son rythme, certains décident de ne pas passer par la case collaboration et de quitter le port en solitaire de suite. D’autres concrétisent leur projet en tirant parti d’une clientèle personnelle patiemment construite. Si le démarrage sera différent, dans les deux cas, le succès reposera sur votre capacité à adopter une posture d’entrepreneur.
C’est-à-dire de faire vôtres des comportements et des pratiques qui vous sont pour la plupart étrangères, votre formation initiale n’abordant que marginalement les compétences spécifiques liées à ce statut.
Car vous installer ne se résume pas à appliquer une liste de formalités et d’actions. Bien sûr vous aurez à réaliser une succession de tâches, d'inscriptions ou de formalités. Bien sûr vous devrez mobiliser des fonds personnels, de manière plus ou moins importante en fonction du mode d'exercice, mais aussi de votre clientèle ou de votre localisation géographique.
Pour être accompagné sur ce chemin, vous trouverez informations et appui auprès des instances de la profession : votre Ordre, le CNB ou vos réseaux et syndicats. L’UJA a par exemple constitué un guide pratique utile à lire avant de s’installer en solo ou de s’associer.
Ce que vous ne trouverez pas en revanche, c'est ce qui est en vous, ce qui vient de vous et ne peut venir que de vous.
Je veux parler de l’envie de faire, de créer, de voler de vos propres ailes, de faire vos choix et d’endosser le costume de capitaine par-dessus votre robe. Ouf !
Que vous souhaitiez créer le futur cabinet star de sa matière ou que vous désiriez juste vous émanciper et devenir meilleur maître de votre temps, l’envie doit être au cœur de votre décision. Vous lancer par dépit et rejet de votre situation existante vous expose à ne pas résister aux premiers vents mauvais -ou pas d’ailleurs- et à maudire votre nouvelle situation autant que la précédente.
Car la liberté a un prix et vous serez désormais seul face aux imprévus qui surgiront nécessairement, et ce quel que soit votre niveau de préparation préalable. Accepter que les choses puissent ne pas se passer comme vous l'aurez planifié vous aidera à les considérer comme normales et vous évitera de remettre en cause votre choix au moindre aléa pointant le bout de son nez. La philosophie Zen parle de principe d’impermanence et d’acceptation.
Un esprit positif sera votre atout principal dans ce nouveau rôle de capitaine de votre propre bateau.
2. Se préparer avant de sauter (l’entonnoir de décision et d’actions)
Vous ne pourrez pas tout anticiper, ok. Ce n'est pas une raison pour ne rien anticiper.
«Il n'est point de vent favorable pour qui ne sait en quel port se rendre ». Sénèque
En premier lieu, prenez le temps de penser votre projet sous la forme d’objectifs et de moyens de les réaliser d’une part, et de risques et d’opportunités d’autre part ; ce qu’en management on désigne en termes d’objectifs SMART* et de matrice SWOT*. En effet, s’il existe autant de raisons de créer sa structure que d’avocats, seules les vôtres seront les bonnes pour vous.
2.1 Les bonnes raisons : Commencez donc par poser par écrit les raisons qui vous motivent à franchir le pas. Elles peuvent être professionnelles, telle l'envie de faire différemment, d'innover dans la pratique, de constituer une offre qui vous soit propre et différenciante, ou encore de vous fixer un objectif de rémunération ambitieux. Elles peuvent également être personnelles, comme la volonté d'un autre équilibre de vie. Ce qui est primordial est de les noter et de les reconnaître comme votre boussole. Chacune de vos décisions à venir devra être comparée avec ce cap, afin de vous assurer de concentrer votre énergie et vos actions dans la bonne direction.
2.2 Les bons objectifs : une fois cette direction fixée, définissez les objectifs qui y correspondent et les critères qui vous permettront de vous assurer de leur atteinte.
À titre d'exemple, une rémunération ambitieuse peut tout aussi bien signifier 120.000€ que 500.000€. Mais également représenter du chiffre d'affaires, de la marge ou de la rémunération nette ; avant ou après impôt. Définir avec précision votre objectif est essentiel pour rester motivé dans la durée et vous donner toutes les chances de l'atteindre.
Le caractère SMART* d’un objectif vous demandera de le compléter d’une durée et des moyens l’accompagnant. Prenez garde à rester réaliste, car les étapes qui suivent de votre plan de route (stratégie) dépendront directement de ces critères.
3. Les bons moyens : être maître à bord vous donnera toute liberté d'agir, mais vous rendra également responsable de l'ensemble des actions. Il est donc essentiel de référencer à ce point de votre démarche les compétences nécessaires à chaque action, ainsi que de manière objective votre niveau d'indépendance sur chacune. Votre nouvelle condition d'entrepreneur ne signifie pas que vous devez savoir maîtriser l'ensemble des compétences. Elle signifie en revanche que vous devez être certain de les posséder, ou aller les trouver à l'extérieur.
Trop souvent, et par souci d'économie, le nouvel avocat-entrepreneur s'épuise à vouloir tout faire par lui-même. Il s'agit d'une cause malheureusement fréquente de lassitude et de renoncement qu'il convient d'anticiper.
Ainsi, plutôt que de passer des heures à acquérir des notions de comptabilité, il sera profitable de vous adjoindre les compétences d'un expert-comptable dont le coût sera compensé par la capacité de facturation ainsi libérée. Il en est de même de tout process qui n'est pas directement lié à votre expertise, et à l'objet même des prestations que vous fournissez à votre clientèle. Je pense en premier lieu à la capacité de créer une offre qui vous ressemble et à la promouvoir au sein de votre réseau ou des réseaux sociaux. Prévoir un budget « com » et sélectionner les bonnes compétences vous fera gagner un temps précieux.
Dans cette phase, il convient également de faire le choix d'outils augmentant fortement votre productivité afin de compenser à minima les services dont vous bénéficiiez au sein de la structure que vous quittez, et maximiser votre marge.
Logiciel de gestion de la relation client au sens large, abonnement aux bases documentaires en ligne, et plus généralement, tout outil qui vous permettra d’économiser votre temps en automatisant les tâches répétitives.
Tout temps économisé devient potentiellement du temps facturable, donc de la rémunération.
Dans votre palette, l'Intelligence Artificielle figure désormais en bonne place et constituera un avantage concurrentiel fort pour ceux qui la maîtriseront. Le CNB vient fort à propos d’éditer un guide d’usage sur les IA génératives.
Vos réflexions sur les sujets qui précèdent et les choix que vous ferez vous permettront de constituer un budget simplifié de vos deux premiers exercices. L'expérience montre qu'il est inutile de se lancer dans un business plan à 10 ans, tout comme il ne sert à rien de réaliser une analyse financière ultra approfondie. Un budget reprenant les grandes catégories des produits et des charges suffit dans la plupart des cas à vous assurer de la viabilité de votre projet.
Une nouvelle fois, ce qui vous fera gagner ne sont pas les tableaux Excel, mais l’énergie que vous mettrez dans votre projet.
Parvenu à ce stade, vous disposez d’une idée précise (et écrite) :
• Des vrais motifs de monter votre structure.
• De vos attentes et des objectifs factuels qui y correspondent.
• Des atouts et des faiblesses qui sont les vôtres.
• Des outils et compétences (partenaires) nécessaires.
• De la timeline des actions à réaliser et des victoires à remporter.
• Du budget simplifié de vos deux premiers exercices.
3. Passer a l’action
Le moment n'est désormais plus à la réflexion, mais à l'action. Soyez confiant dans vos capacités, et prenez systématiquement appui sur votre plan de route. Engagez chaque action l'une après l'autre, avec opiniâtreté et sans douter un instant de l'atteinte de vos objectifs.
Après l’euphorie de la phase de conception de votre projet, faites du passage à la réalisation une source de satisfaction et de motivation. Puisez de l’énergie dans chaque étape que vous allez franchir, dans chaque point du plan que vous aurez réalisé.
Dans cette phase également ne restez pas seul. Échangez avec vos confrères et consœurs, faites-vous accompagner sur les points bloquants et tissez votre réseau.
Et surtout, ne cherchez pas la perfection car elle n'existe pas. Ne cédez pas aux prétextes que l'on s'accorde à soi-même pour repousser le moment d'agir ou de se confronter à son marché.
Mettez en œuvre les décisions prises, et pratiquez par une démarche d'action et de correction : reproduisez et amplifiez ce qui fonctionne. Corrigez et supprimez ce qui ne fonctionne pas.
La constitution d’une clientèle et la reconnaissance professionnelle prennent du temps. Ne pas se décourager face aux premiers obstacles est essentiel. Beaucoup d’avocats abandonnent parce qu’ils s’attendent à des résultats immédiats, alors qu’une installation réussie se construit progressivement.
Et l’association dans tout cela ?
J’aborde ici seulement cette voie particulière de l’installation car l’ensemble des points énoncés lui sont également applicables. S'associer pour de mauvaises raisons, voire sans vraiment savoir pourquoi, à l'exception du fait de ne pas être seul, conduira nécessairement à un échec.
Consacrez donc vraiment du temps à coconstruire le sens, à définir les attentes et les objectifs de chacun comme du collectif. Interrogez-vous notamment sur les avantages que vous obtiendrez à « chasser en meute » plutôt qu'en solitaire.
Une fois encore, Le temps prit à la réflexion augmente considérablement les chances de succès.
Conclusion
L’installation d’un avocat, comme toute création d’entreprise, est un processus exigeant mais incroyablement stimulant.
En adoptant la bonne attitude, en vous préparant avec sérieux, puis en déployant votre plan d’action avec opiniâtreté, vous transformerez ce défi en une réussite professionnelle et personnelle. La clé du succès réside dans une organisation rigoureuse, un réseau solide, et surtout, dans une relation de confiance en vous-même et avec vos clients.
• SMART : critère d’un objectif Spécifique, Mesurable, Atteignable Réaliste et défini dans le Temps
• SWOT : matrice d’analyse de vos forces/Faiblesses et des Opportunités/Menaces de votre projet
Jean-Marc Brulé, partenaire business des Avocats vous aide à devenir plus performants
et plus épanouis.
Fondateur de l’agence conseil avocat & manager Auteur du pack « Réussir un entretien annuel en Cabinet d’Avocat » https://avocatmanager.fr
Article paru dans la revue du Village de la justice de novembre 2024